Plume aventurière

Plume aventurière

De la solitude

Solitude et société doivent se composer  et se succéder. La solitude nous donnera l'envie de fréquenter les hommes, la société, celle de nous fréquenter nous-mêmes, et chacune sera l'antidote de l'autre, la solitude nous guérissant de l'horreur de la foule, et la foule de l'horreur de la solitude.

Sénèque, De la constance du sage.

 

Rien ne bouge, dans une vaste vallée ornée d'épis de blé, dans une étendue de sable, ou encore sous un ciel étoilé au soir d'une pleine lune, la solitude confronte les individus à l'immensité du vide et à l'atomicité de notre condition. Même seul, entre quatre murs, souvent visité par quelque bruit venant d'ailleurs, la solitude nous rappelle toujours qu'elle fait partie de nous, qu'elle se dissipe dans notre ombre, guettant le moment propice pour nous envelopper de son manteau. Certains s'y complaisent, préférant la retraite qui les fusionne  avec elle à cette marée humaine; d'autres redoutent cette inconnue, s'en méfient, la fuient tel ce point sombre où l'on devine une silhouette maléfique.

Ainsi, face à cette part de nous, car elle en est une, se distinguent un mouvement d'attraction et de répulsion. La solitude qu'on s'attache à renier dans la plupart des cas, je pense, n'est autre que l'émanation d'une autre dimension de notre être. Ce n'est guère anodin si l'on ressent cette présence "vide" que lorsqu'on est seul, vraiment seul, ou seul parmi les autres. Lorsqu'elle arrive et qu'un sentiment étrange, diffus, qui ne nous est pas familier, s'empare de nous, on ne lui laisse pas le temps de se révéler à notre ignorance. L'angoisse, la gêne et l'inexplicable, nous donnent le génie de renforcer les frontières, d'élever des barrières qui nous éloignent de notre moi condamné alors à vivre comme un paria dans une dimension faisant office de prison. Sans le savoir donc nous transformons le seul monde qui nous est propre en tartare, en univers carcéral.

Et pourtant, dans les moments les plus périlleux de notre vie, lorsqu'on a plus de ressource pour braver les épreuves que notre odyssée nous réserve ou enfin lorsqu'on est à terre, on s'isole par réflexe. Dans ces moments et sans le vouloir, l'être humain, tellement atterré, ne résiste pas à la solitude. On s'abandonne à elle, ces ressentis bizarres et étranges que nous redoutions nous deviennent supportables, euphoriques et réconfortants. Quelle contradiction! Progressivement, lentement, se crée un portail qui nous relie à l'autre dimension que notre autre occupe.  Là-bas, elle est à l'abri des affres de la condition humaine, inatteignable, car cet espace est inviolable; c'est un sanctuaire. 

La solitude nous conduit à un exil au sein de nous-mêmes, à un pèlerinage. Elle nous initie à notre propre mystère: la rencontre avec soi-même. Elle nous isole pour nous emmener dans un monde qui est nôtre. Elle nous extirpe des autres pour nous présenter à nous-même. Je disais que dans ce sanctuaire vivait une autre partie de nous qui, dans les conditions propices à l'introspection, ouvre les portes de ce monde sacré pour retrouver cette unicité. Cela fait de la solitude un voyage plein de mystique. 

Pour expliquer l'amour, ce manque, cet autre qu'on retrouve ailleurs et qui est notre moitié, les philosophes ont forgé le mythe de l'androgynat. On y raconte qu'autrefois l'homme et la femme ne faisaient qu'un. Se sentant forte de cette unicité, l'humanité a voulu défier les dieux. Ces derniers réprimandèrent violemment la folie de grandeur des humains en séparant l'homme et la femme qui, jusque-là, ne faisaient qu'un. Depuis, l'homme est condamné à chercher sa moitié dans cette pléthore d'individus et la femme ne saurait se dire à l'abri de cette malédiction éternelle.

La victoire des dieux n'a été que partielle, car l'humanité aurait réussi à garder une partie d'elle loin de leur portée. C'est de cette entité là qui cherche à se révéler à elle par la solitude qu'il s'agit. En la retrouvant, l'humanité retrouve sa plénitude. Lorsque le voyage auquel nous convie la solitude nous introduit dans ce sanctuaire, on en ressort transfiguré. Par ce voyage, nous nous mettons en face de nous même, entrons en dialogue avec nous-même. La figure du sage, toujours assortie d'un isolement ne nous interpelle-t-elle pas sur les ressorts de la solitude? C'est qu'elle dresse un miroir où le reflet de l'autre moi prend forme et entre en dialogue avec moi. Elle fait retentir les voix lointaines de nous que la voix des autres empêchent de percevoir. Elle nous plonge dans nos abysses pour nous réconcilier avec une autre entité de nous que nous redoutons et qui représente notre force que la mémoire a oublié. 

Il ne faut donc pas la rejeter lorsqu'elle commence à nous isoler, étape de purification qui nous couvre de mysticisme effrayant, mais étape nécessaire pour accéder à ce sanctuaire où nous attend nous-même dans sa plus grande splendeur. Comprenons le et entrons régulièrement en dialogue avec nous pour ne faire qu'un et nous élever encore plus haut.

                                                                                                                                                                                                                                                                     La plume aventurière.



17/10/2013
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