Plume aventurière

Plume aventurière

Démocratie et société

 

 

 

Depuis la chute du mur de Berlin (considérée comme le symbole le plus criant de la fin des régimes totalitaires), la démocratie n’a cessé d’évoluer aussi bien dans ses formes, son ampleur que dans ses manifestations. La démocratie est partout à l’œuvre, transformant ainsi la face du monde. La société est de nos jours un grand chantier. Ces quelques remarques parmi d’autres ont fait l’objet de réflexions très denses dont l’enjeu est de comprendre l’impact  de la démocratie dans les sociétés contemporaines, mais aussi de s’enquérir de ce mouvement expansif qu’elle entretient. Il s’agit de comprendre ses mutations et les tensions qu’elle engendre.

C’est dans cette veine qu’il faut inscrire cet ouvrage collectif au titre très attractif : Nouvelles questions sur la démocratie. Issu des actes de la journée d’études organisée la 04 décembre 2009 par l’Association française de droit constitutionnel (AFDC), il s'articule autour de trois axes essentiels : rapports droit-justice-démocratie, les nouveaux modes d’expression de la démocratie et pour finir sur des réflexions sur la démocratie.

En ce qui nous concerne, nous avons choisi d’exposer et de discuter la partie consacrée à l’articulation droit-justice et démocratie. Ce  grand chapitre, subdivisé en trois autres parties présentent trois sous thèmes  nodaux dans le débat sur la démocratie : la multiplication des droits dans les sociétés démocratiques ; ce qui, logiquement, conduit à s’interroger sur le rapport justice et démocratie pour enfin couler le tout dans le vase houleux de la démocratie et des contre-pouvoirs sociaux. 

 

Démocratie et multiplication des droits.

Nous reprenons le titre même donné par Julien Bonnet et Mathilde Philip-Gay qui ont eu la tâche de cette partie. Le génie démocratique garantit aux hommes une égalité traduite dans les droits de chacun, gage de  liberté et d’équité. Mais ces principes, si chers à l’idéal démocratique, trahissent son essence quand ils se traduisent en actes. En effet, en dissipant les droits, jusque-là objectifs, elle vient renforcer certaines zones hostiles où s’affrontent droits objectifs et droits subjectifs. C’est de là qu’émergera la plupart des critiques visant à réhabiliter les droits objectifs au détriment des droits subjectifs.

 

Gestation des droits subjectifs

Dans les régimes totalitaires, il n’était nullement possible de considérer les individus dans leur particularité. Le groupe l’emportait inexorablement sur le sujet. Mais avec la démocratie, les libertés individuelles ont entraîné avec elles une pléthore de droits que ne sauraient réfutés les régimes dits démocratiques. Au-delà des valeurs de la démocratie, il existe deux facteurs qui œuvrent pour la prolifération des droits subjectifs.         

                   

Multiplication des droits subjectifs au nom des droits de l’homme.

Le mouvement humaniste du siècle des lumières n’a pas manqué de marquer ses empreintes dans ce grand texte largement tributaire de la Révolution française de 1789. En effet, la proclamation des droits de l’homme est de loin la base de cette vague de droits subjectifs et de libertés individuelles de nos sociétés contemporaines. Presque tous les combats animés par les libertés individuelles sont marqués du sceau des droits de l’homme. On pourra classer dans cette catégorie la quête de reconnaissance qui touche toutes les catégories sociales. Et selon les thèses de Marcel Gauchet, ce constat rendrait nos sociétés ingouvernables. En effet, on se pose la question de savoir comment gérer un groupe dans lequel des droits, pas forcément compatibles, voient incessamment le jour ? La position de Gauchet, ainsi que les arguments déployaient pour étayer sa thèse, nous emmène à nous poser une série de questions suspendue à toutes les lèvres : la multiplication des droits est-elle nuisible à la démocratie ? la démocratie porte-elle en elle son propre fossoyeur ? La réponse à ces interrogations sera exposée dans la partie réservée aux mouvements qui s’opposent à cette tendance. Il convient de poursuivre avec les principaux facteurs de la multiplication des droits.

    

Multiplication des droits subjectifs au nom de la solidarité.

La solidarité est aussi une exigence démocratique qui ne cesse de se renforcer de plus en plus. Si certains combats juridiques sont menés au nom de ce système politique, la solidarité est, elle aussi promue par ces mêmes valeurs. Il va sans dire qu’elle participe à la multiplication des droits. En effet, les actes solidaires passent, comme nous le verrons, en droits légitimes dans les régimes démocratiques.

Pensée à l’origine par les épicuriens et les stoïciens, le concept est repris par les penseurs chrétiens et les philosophes des lumières. Au fil du temps, son sens s’est dilaté devenant ainsi de plus en plus polysémique.

Aujourd’hui, elle justifie même la prolifération des droits. Nous pouvons retenir en guise d’illustrations le Revenu de Solidarité Active (RSA) qui est un droit acquis par certains au nom de la solidarité. C’est sous le même angle qu’il faut analyser la Contribution sociale généralisée (CSG) et l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF).

L’édification de la solidarité en droit constitutionnel fait d’elle un objectif pour le législateur. Ce dernier doit veiller à l’application de ce droit au nom du douzième alinéa du texte sur la solidarité nationale : « la nation proclame la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales ».

Nous voyons donc ici comment des actes solidaires sont, par la volonté démocratique, mués en droits fondamentaux. Par la même occasion, elle sert de justification pour ces nouveaux droits qui émergent dans ce domaine.

 

Autres vecteurs de multiplication des droits.

A côté des droits subjectifs, les droits se sont multipliés dans d’autres domaines sous le ciel des sociétés démocratiques. Dans la stratification des instances et de leurs interactions avec les citoyens, des droits nouveaux ont vu le jour sous l’impulsion de la démocratie. Nous retiendrons entre autres la démocratie administrative, environnementale et écologique.

 

Multiplication des droits au nom du droit administratif.

Dans cette dynamique, on cherche à rendre les rapports entre l’administration et les administrés plus équitables. En effet, cette instance doit veiller au respect des droits et libertés individuels. Ainsi, le citoyen peut ainsi faire valoir ses droits sous deux axes : la participation à la décision et la transparence des institutions administratives.

Autrement dit, le citoyen qui ne faisait que l’objet d’une consultation devient un acteur non négligeable dans la prise de décisions des institutions. Cela participe de l’idéal démocratique d’exercice du pouvoir. De surcroît, il contribue à la soustraction d’espaces de liberté aux gouvernants et limite, par la même occasion, leurs actions.  

      

Multiplication des droits environnemental et fiscal

Depuis la loi de 1976 relative à la protection de l’environnement, les citoyens se sont inscrits dans un processus de démocratisation parachevé le 12 juillet 1983 par la loi Bouchardeau. De même la loi de 1994 suivie de la Charte sur l’environnement viennent marquer la consécration. Ainsi, c’est dans ce mouvement très dynamique que surgissent des droits : celui d’être informé et celui de participer au débat public lié à l’environnement. Désormais les enquêtes sont démocratisées, rendues publiques par les institutions.

Quant à la transparence, elle réduit les incertitudes et le fossé entre les deux espaces. C’est surtout un compromis : un droit attribué dans le but de faire accepter aux citoyens leurs devoirs. C’est ainsi qu’il faut comprendre la Charte Copé liée à la démocratie fiscale et dans laquelle le contribuable jouit de droits à l’information qui plient les institutions à la transparence : le coût de l’impôt à payer est justifié. Tous ces processus s’inscrivent dans un cadre de communication, d’affichage des droits et d’équilibre.  

En somme cette nous retiendrons de cette première partie que la démocratie a instauré un espace propice au développement de droits individuels. On assiste à la sublimation de l’individu sur le groupe. Cependant, cette tendance, même si elle constitue l’un des piliers de la démocratie, ne fait pas l’unanimité. En effet, il existe des pensées très critiques qui ont été consacrées sur l’impact de cette vague de droits subjectifs dans les sociétés et les institutions.

 

Les critiques de la démocratie.

Comme l’a si bien remarqué Anne-Marie Le Pourhiet « …notre monde est manichéen …nul n’ose plus critiquer la démocratie censée appartenir exclusivement au clan du bien ». De fait, la démocratie apparaît comme le système « parfait », au nom duquel il faut envahir et détruire les systèmes « autres ». De même, les penseurs doivent transcender ce premier écueil pour enfin soumettre ce système à leur jugement.  Ainsi, la multiplication des droits et des libertés qui sont des indices d’une démocratie saine et vertueuse est appréciée autrement par des penseurs assez pertinents. Supposée œuvrer pour le bien être de la nation, cette tendance serait pourtant assez nuisible à l’idéal démocratique et aux institutions.

 

Multiplication des droits et l’idéal démocratique.

Sans vouloir être trop simpliste, disons que l’idéal démocratique se résumerait par l’instauration d’une société juste. Qu’est-ce qu’une société juste ? Au vu de la démocratie, une société juste serait celle-là qui garantirait les droits et libertés individuelles. Par conséquent, il faut multiplier les droits subjectifs; ce qui change la face des sociétés et des institutions.

 

Critiques sociales de la démocratie.

Pour Marcel Gauchet « une société juste ne saurait naître d’une addition de droits ». En effet, si l’on observe les mouvements sociaux on se rend compte que ce système engendre une certaine compétition entre les individus, les groupes et les institutions. Une logique de concurrence s’est installée, érigeant des zones de tension qui, parfois, se manifestent avec une violence inouïe. La quête de la reconnaissance est un ouvrage qui nous présente l’ampleur de ce phénomène. Tout le monde cherche à faire reconnaître ses droits, sa valeur… et la démocratie devient le cheval de bataille de ce chaos ; la société entière devient une plateforme revendicative. Ce principe démocratique vient en effet œuvrer en contre sens de l’harmonie sociale même si ce n’est pas l’effet voulu.

De même, il faut noter un usage abusif des droits de l’homme dans la multiplication des droits subjectifs. La conséquence de cette réalité est la désagrégation de la collectivité et la perte de référence indispensables à la bonne gouvernance comme le suggère Arendt. De surcroît, il ne manque pas de pensées hostiles à l’égalité de tous devant la loi. Pour le philosophe allemand Herder, cette égalité n’est qu’« illusion ». Pour renchérir, Edmund Burke souligne dans ses Réflexions sur la Révolution de France l’aspect « métaphysique de la liberté abstraite des citoyens ». De fait, la démocratie n’est pas dans la même dimension que ceux sur qui elle repose ; ce qui nous emmène à rechercher d’autres contradictions du système.

Dans La question juive, c’est autour de Marx de dénoncer l’hypocrisie de la démocratie. Nous savons déjà que pour lui, la Révolution française n’est pas celle du peuple, mais plutôt celle de la bourgeoisie qui, forte de ses avoirs s’est affranchie de l’ancien règne. De fait, les droits de l’homme et tous les principes qu’ils charrient doivent être délaissés au profit des droits réels et sociaux. C’est une façon de dire que les sources des droits de l’homme tant clamés ne sont pas générales mais plutôt l’initiative d’une classe qui continuera à entretenir l’ordre social d’antan : dominants/dominés. Si l’on suit Marx dans ses idées, les libertés sont illusoires pour le peuple : la liberté est celle de la bourgeoisie ou plutôt d'une nouvelle élite. Donc ce principe égalitaire devient la source même des inégalités dans le sillage de Marx.

Nous retiendrons que la multiplication des droits bouscule l’idéal même de la démocratie en dissipant l’harmonie sociale. Les libertés et l’égalité telles que pensées par le génie démocratique ne sont pas adéquates aux sociétés. Autrement, elles sont impossibles à appliquer du fait de la contradiction entre multiplication et libertés individuelles. Il faut dire que dans la pratique la revendication des droits subjectifs pourrait porter atteinte à la liberté d’autrui. Qu’en est-il au niveau institutionnel.

 

Les critiques institutionnelles de la démocratie.

La démocratie, comme nous l’avons vu, est partout à l'oeuvre. Et la multiplication des droits l’accompagne dans toutes les sphères sociales telle une ombre. Nous consacrerons ici quelques réflexions sur la position du courant républicain légicentriste et les effets de la démocratie administrative.

Le premier dénonce la nocivité de la prolifération des droits subjectifs sur l’intérêt général. C’est dire que pour la plupart des cas les intérêts individuels sont incompatibles avec l’intérêt général. C’est là une source de tensions assez récurrentes. Comment faire dans un tel cas pour ne pas léser l’une des parties ? Les tenants de cette perspective recommandent un retour du triomphe des droits subjectifs. Ils ne manquent pas aussi de dénoncer le grand pouvoir dont jouit le juge dans la mise en œuvre des droits fondamentaux. A côté, la République s’affaiblit. Il faut dire que le principal problème que pose ce courant est celui du pouvoir. Mais il faut quand même souligner que ces critiques ne visent pas le rétablissement du totalitarisme. Elles déplorent plutôt les difficultés de gouverner et toutes les conséquences qui en découlent. La multiplication des droits subjectifs dessine un système qui soustrait davantage de pouvoirs aux institutions au profit des individus. Nous pouvons mettre en parallèle ces idées avec la crainte de Montesquieu de voir la démocratie évoluée en démagogie «inversée » du fait des droits qui se multiplient.

Les administrations doivent de plus en plus veiller au respect des droits des individus. Aussi sont-elles dans l’obligation de les informer, de les laisser prendre part aux grandes décisions. Il convient de veiller à ce que l'émergence de nouvelles légitimités viennent saturer celles déjà en place. Cette vague de droits qui prenD d’assaut l’administration inspire une certaine méfiance à Marcel Gauchet et le courant républicain légicentriste qui craignent que  ce trop-plein de pouvoirs rende les citoyens ingouvernables.

 

En définitive, en créant un espace favorable à la multiplication des droits, la démocratie a engendré par la même occasion des écueils à son développement. Une société marquée du sceau de la compétition des droits augure le destin incertain de la démocratie.  La crise que connaît cette dernière émanerait de son idéal même de promotions des libertés et des droits subjectifs. Certaines de ses valeurs se laissent voir comme un cancer qui corrompt progressivement l’ensemble du système. Tous ces constats rendent plus que pertinentes les questions relatives à l’avenir de la démocratie et à l'évolution des sociétés. Ce système en constante évolution est encore loin de son idéal; il demeure une utopie qui cherche son chemin au gré des luttes qu'il engendre. Il convient alors de la voir comme une dynamique plutôt qu'une forme d'organisation de nos systèmes politiques.

 

 

                                                                                                                                     La plume aventurière... 

 

 

 

 

           

 

 



27/10/2012
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