Plume aventurière

Plume aventurière

Pauvreté et misère, quand la malédiction éternelle est expliquée par des savoirs lointains.

 

L’humanité se caractérise par un ensemble de relations entre le monde et l’homme qui en constitue son centre de gravité. Il en est la plaque tournante ; autrement dit le souffle, l’âme. Mais dans son rapport avec ce dernier se révèle la complexité du commerce qu’ils entretiennent. En effet, ce rapport, pas toujours gai, présente parfois des spectacles qui inspirent une certaine désolation, voire  une révolte. C’est dire que ce monde est loin d’être un havre de paix pour les hommes. L’espèce humaine est subjuguée par des guerres, le terrorisme, la famine, les maladies, les catastrophes naturelles, etc. Bref il est marqué du sceau de la souffrance qui participe à la peinture d’un ciel orageux au dessus de nous. La décadence est partout présente.

 

Les religions révélées (le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam) sont naturellement nos premières sources d’investigation pour connaître la source de nos malheurs. C’est dans les livres Saints (la Thora,la Bibleet le Coran) que nous découvrons les premières explications. De passage, notons que ces trois instances religieuses se prononcent d’une seule voix sur la souffrance des hommes.

 

Selon elles, les origines de nos souffrances sont à chercher dans le péché originel. En effet, nos deux ancêtres : Adam et Eve seraient les causes de nos déboires. Après leur désobéissance à Dieu qui leur avait prohibé l’arbre de la sagesse, ils furent chassés du paradis. L’homme désormais, cohabitera avec le mal. Il devient un exilé sur cette terre où il devra se purifier et demander le pardon dela Providence. L’homme est déchu du paradis, il doit souffrir.

 

Par ailleurs, les religions ne se bornent pas seulement à nous donner la genèse de cette malédiction, elles nous fournissent également la description de tous les maux auxquels nous serons confrontés. A coté des guerres, des calamités, des épidémies, des débauches, des famines,... bref  de tous les maux que nous rencontrons, elles nous disent aussi tout ce que nous aurons à rencontrer tout au long de notre pèlerinage sur terre. C’est une façon de nous préparer à affronter les vecteurs de notre expiation. Mais cette approche de nos malheurs n’est pas suffisante ou encore se conçoit mal chez certains, soit parce qu’ils adhèrent à une autre foi, soit qu’ils n’appartiennent à aucune confession.

 

La mythologie en donne une autre origine, mais il y a toujours à sa base une transgression. Pour la pensée mythique grecque, tous les maux de la terre, la souffrance des hommes seraient nés avec la création de la première femme, Pandore, descendue de l’Olympe avec sa funeste boîte. Rappelons encore, pour relever certaines similitudes, que les religions révélées indexent également la femme. Pandore fut l’arme secrète de la vengeance des dieux après l’affront que leur a infligés Epiméthée frère de Prométhée. A analyser ce récit, la cause première de notre souffrance ne serait pas seulement le courroux des dieux, nous devons chercher l’autre mobile dans la transgression, car tout comme Adam et Eve, Epiméthée a transgressé le conseil de son frère : n’accepter aucun présent venant des habitants de l’Olympe. A rebours, Pandore lui avait interdit d’ouvrir la funeste malle, mais la curiosité de ce dernier déchaîna sur le monde une liste innombrable de fléaux jusque-là méconnus : la mort, les maladies, les épidémies, la méchanceté, la haine, la guerre, la famine, la pauvreté, etc.

 

Donc, dans les religions et la mythologie la souffrance de l’humanité apparaît comme un châtiment subséquent à une désobéissance. Avec l’évolution du monde, de nouvelles sciences ont vu le jour. Et ils aborderont la question sous d’autres angles pour en donner d’autres raisons. Mais pour des visées plus efficientes, ces disciplines se focalisent sur un aspect de notre souffrance : c’est la spécialisation. Le médecin s’intéressera aux maladies, le politologue au phénomène des conflits, de la politique, etc. Aussi, nous intéressons-nous dans ce travail d’un malheur universel: il s’agit de la pauvreté. En effet s’il y a parmi les maux qu’on a énumérés un qui semble le plus répandu, c’est la pauvreté. Des pauvres, on en trouve partout, même dans les pays les plus riches.

 

L’histoire de l’humanité nous apprend que ce malheur a toujours existé. Il y a toujours eu des pauvres.  Par ailleurs, elle reconnaît que de nos jours, elle devient de plus en plus visible et violente. Son impact sur les hommes serait plus dramatique. On lui attribue une évolution spectaculaire lors de ces dernières décennies. La pauvreté est devenue, si l’on peut parler ainsi,  le nouveau mal du siècle que les objectifs du millénaire se proposent d’éradiquer. Elle nous inspire l’image d’une sangsue qui, par sa ventouse se colle monstrueusement à la peau de ces victimes et les anéantit petit à petit. Elle est,  de nos jours, inséparable de la misère et la frontière qui les sépare est presque imperceptible. De passage, signalons qu’il existe plusieurs causes de misères, mais nous nous focaliserons sur la typologie de celle qui dérive de la pauvreté. Ces deux concepts entretiennent une complicité extrêmement nocive.

 

Les autres domaines telle que la sociologie en concert avec quelques filières des sciences économiques, nous exposent la pauvreté comme les déboires d’un système social et/ou économique. En d’autres termes, chaque société crée ses propres pauvres et chaque système laisse des victimes sur la chaussée. N’est-ce pas là une normalisation du phénomène ?

 

Telles sont les différentes conceptions religieuses, mythiques, historiques, sociales et économiques de la pauvreté mais nous retiendrons l’étymologie du concept. Du latin paupertas, il désigne l’état d’une personne qui manque de moyens matériels et d’argent, bref une insuffisance de ressource[1]. Cependant nous devons souligner les limites de cette définition trop simpliste de notre objet d’étude. Elle apparaît plus complexe que ça ; elle est un ensemble de phénomènes qui précipite la dégradation physique, morale, sociale et spirituelle de l’être. Se limiter aux seuls faits matériels pour parler de cette réalité, c’est négliger l’essence humaine. Aussi, démontrerons-nous que la pauvreté n’est pas forcément un mal. Elle est parfois une vertu, un ensemble de valeurs.

 

Quant à la misère, elle provient du latin miseria qui traduit un sort digne de pitié, un malheur extrême, une adversité, une détresse, une infortune. C’est un état de la pauvreté, pouvant aller jusqu’à la privation de la chose nécessaire à la vie. C’est le tréfonds de la condition humaine, la chose moralement mesquine, vile. Cette définition du Nouveau Petit Robert est bien acceptable ; elle cerne en quelques mots l’ensemble des caractéristiques de ce substantif qu’on confond souvent à la pauvreté.

 

Il faut signaler, à la lumière de ces définitions que la frontière qui sépare ces deux concepts est presque inexistante. Dans leur étymologie l’un renvoie parfois à l’autre ; l’on perçoit une certaine complexité et une interactivité entre eux. Mais cela ne devrait pas nous égarer. La misère est plus abyssale. Selon Saint Thomas d’Aquin si la pauvreté désigne un manque de superflu, la misère elle,  signifie le manque du nécessaire[2]  (d’où son aspect pathétique). Elle se situe aux antipodes de la pauvreté. Au-delà de cet aspect matériel, elle renvoie à un état moral délabré, scabreux, bref  elle participe de la décadence de l’homme en tant qu’être sensible et spirituel. Ce phénomène est le malheur extrême, la déchéance de l’homme, c’est le faîte de la souffrance.

 

Dans l’opinion courante, on attribue à la misère les vertus de la pauvreté, ou au contraire on impute à la pauvreté les déboires de la misère. Et pourtant entre ces deux, il existe une transition. De façon imagée, nous dirons que passer de la pauvreté à la misère, c’est choir de Charybde à Scylla, deux monstres aussi impitoyables de l’odyssée des hommes.

 

De ces éclaircissements, la misère exprimerait la chute dans un monde sans repère, unique en son genre, où le sujet se sent dépossédé de toutes ses forces vitales nécessaires à la prise en charge de sa destinée. C’est le souffle de la vie que la misère arrache à ses victimes. Le misérable, ainsi brisé dans son corps et dans son âme, rappelle le sort d’un damné. L’être est anéanti.

 

Après le travail d’ébauche sur les deux points qui charpentent notre thème, force est de reconnaître la complexité de la question. Son étude recèle des manquements. Prenons pour exemple l’analyse du géographe. Elle est plutôt axée sur l’aspect pécuniaire, physique et matériel de la question. Or, dans ce cas de figure, la manifestation externe n’est que la face visible de l'iceberg. Pour mieux évaluer la nocivité de la pauvreté, il faut pénétrer ses mystères. Les impacts visibles ne sont que la projection soignée du chaos intérieur. Et sur ce point, l’analyse d’un humaniste vient au secours des autres disciplines. Ces sciences ne peuvent donc pas appréhender le grand désordre intérieur des victimes de la pauvreté ou de la misère. Ce fléau est à l’image des maladies sournoises qui, pour exécuter des dommages internes, exposent un chancre sur la peau du malade. Dès lors, le médecin perdra son temps à diagnostiquer la plaie au moment où la maladie corrompt l’intérieur du corps. Ceci nous pousse à formuler une série de questions : connaissons-nous vraiment la nature de la pauvreté ? pouvons-nous la voir uniquement comme un phénomène exclusivement économique aux manifestations physiques ? la raison, à elle seule, peut-elle percer les mystères de la pauvreté ? quelles sont les conséquences de cette réalité sur l’humanité des hommes ?

 

 

                                                                                                            La plume aventurière...

[1] Le Nouveau Petit Robert de la langue française. Edition 2007.

[2]  Saint T. d’Aquin cité par Majid Rahnema. Quand la misère chasse la pauvreté. Paris : Fayard/Actes du Sud. 2003, p14.

 

[3] Document de stratégie de réduction de la pauvreté. Avril 2002. p14.

[4] Paul Marc Henri. Pauvreté, progrès et développement. L’Harmattan, 1990. p 76.



27/10/2012
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